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L’EMPLOI DES TEMPS
QUELQUES INDICATIONS
THÉORIQUES
L’emploi des
temps verbaux au niveau textuel peut être jugé d’un triple point de vue :
la cohérence temporelle, la cohérence énonciative, et la répartition selon les
deux plans du récit.
La cohésion temporelle
Le temps vécu se
divise en trois époques : le passé, le présent et l’avenir. Les temps
verbaux permettent d’inscrire les procès dans ces différentes époques :
- pour le passé, l’imparfait, le
plus-que-parfait, le passé simple, le passé antérieur et le passé
composé ;
- pour le présent, le présent (et le
passé composé) ;
- pour l’avenir, le futur et le futur
antérieur.
La cohésion
temporelle implique, pour un récit situé dans le passé, que seuls soient
employés des temps du passé (imparfait, plus-que-parfait, passé simple, passé
antérieur, passé composé). Si d’autres temps sont employés (présent, futur,
futur antérieur), on dira que la cohésion temporelle n’a pas été respectée, est
altérée.
La cohésion
énonciative
Benveniste
(« L’appareil formel de l’énonciation », Problèmes de linguistique générale, II, Gallimard, 1974, pp 79-88)
définit l’énonciation comme la « mise en fonctionnement de la langue par
un acte individuel d’utilisation » (p. 80), le produit d’une énonciation étant
un énoncé. Il distingue deux types
(deux systèmes) d’énonciation : le discours(fondamentalement oral et dialogal, mais on peut trouver des énonciations de
type discours à l’écrit, avec les discours rapportés au style direct) et l’histoire (ou récit), écrit et monologal.
Discours et récit se distinguent par le choix des pronoms personnels, des
marqueurs spatiaux temporels (embrayeur -selon Jakobson, « Les embrayeurs, les catégories verbales et le verbe
russe », Essais de linguistique générale,
Éd. de Minuit, 1986, p. 187 sq. - ou déictiques)
et des temps verbaux.
En
ce qui concerne les temps verbaux, le présent, le passé composé, le futur et le
futur antérieur sont caractéristique du discours, alors que le passé simple et
le passé antérieurs sont caractéristiques du récit. L’imparfait et le
plus-que-parfait sont communs à ces deux types d’énonciation.
La
cohésion énonciative implique, au niveau des temps, que ne soient pas mélangés
temps du récit et temps du discours, particulièrement dans les séquences textuelles
relevant de l’énonciation de type récit (par opposition aux séquences de
discours rapporté au style direct). Ainsi, l’emploi du présent ou du passé
composé dans une séquence de type récit romprait la cohésion énonciative.
On
notera que l’emploi du présent dans un récit au passé altère à la fois la
cohésion temporelle et la cohésion énonciative. L’emploi de passé composé
altère la cohésion énonciative, mais non la cohésion temporelle.
Les deux plans
du récit
L’étude de la valeur des temps dans un
cadre textuel est récente. L’ouvrage de référence est Le temps de H.
Weinrich (Tempus, 1964 ; trad. franç. Seuil, 1973). L’idée est que
tout texte est structuré sur deux plans.
£ Le premier plan correspond
aux faits, aux actions, aux événements qui constituent la trame narrative du
récit, qui en sont le fil conducteur, qui en marquent la progression :
Ce n’est
pas vers ses livres que Mme Danitza dirigea ses pas réguliers, mais vers
des papiers soigneusement rangés dans des classeurs toilés disposés en éventail.
Elle en choisit un sans hésitation, l’ouvrit, pritune feuille entre le pouce et l’index, fitmine de lire tout en laissant
parfaitement entendre à son visiteur en service commandé qu’elle n’en avait nul
besoin.
Pierre
CHRISTIN, Petits crimes contre les
humanités,
Éd.
Métailié, 2006, p. 28
Les procès
inscrits dans le premier plan sont au passé simple (ou antérieur), ou au passé
composé dans les textes ne relevant pas de la littérature
« classique ».
£ Le second plan est plus hétérogène. On distingue en effet
trois catégories de second plan : les seconds plans descriptif, évaluatif et
narratif.
La description : elle
est indispensable dans un récit, faute de quoi celui-ci deviendrait très
rapidement difficile à comprendre. Tout récit conjugue séquences narratives (1erplan) et séquences descriptives (2nd plan). Les descriptions
permettent de poser, de façon plus ou moins étendue ou ponctuelle, le cadre
dans lequel vont se dérouler les actions.
Les
fourrés et la haie étaient d’un vert très foncé, presque noir, presque aussi noir
que la roche. La terrasse était elle même très longue – aussi longue que la paroi volcanique.
Ou on ne voyait que les arbres de
la colline qui l’enveloppait, ou on ne voyaitque la mer.
Partout la mer.
Pascal
QUIGNARD, Villa Amalia, Gallimard, 2006, p. 133
Le commentaire : l'auteur apporte une information, une
explication, un point de vue, une appréciation, un jugement, etc. sur un
personnage, son comportement, sur les péripéties de l'action, ses causes ou ses
conséquences, etc.
Marcel voulaitsavoir où se trouvait la mallette d’échantillons. Elle explora du pied l’espace
vide sous la banquette et rencontra un objet dont elle décida qu’il était la
mallette. Elle ne pouvait se baisser, en effet, sans étouffer un peu.
Albert
CAMUS, L’exil et le royaume, chap. 1,
1957
Ainsi, Marcel voulait savoir où se trouvait la
mallette d’échantillons permet au lecteur de comprendre la suite du texte.
Avec Elle ne pouvait se baisser, en
effet, sans étouffer un peu, l'auteur explique au lecteur la raison pour
laquelle son personnage s'est contenté d'une exploration à l'aide de son pied
et d'une conclusion sans vérification. Signale cette valeur de commentaire, outre
l'imparfait dans un contexte au passé simple, la locution en effet.
Le récit : à
côté du récit de premier plan peut fonctionner un récit de second plan, qui
concerne des faits, des actions, des événements soit antérieurs au récit de
premier plan, soit contemporains de ce récit, et qui font partie du cadre du
récit de premier plan : les actions de 1er plan ne se déroulent pas
uniquement dans un décor matériel, dans une ambiance donnée, mais également
dans la continuité d'actions antérieures (ou en rupture avec elles) et au milieu d'autres actions, de statut
secondaire :
[…] Le car était
parti à l’aube, du terminus de la vie ferrée, et, depuis deux heures,
dans le matin froid, il progressait sur un plateau pierreux,
désolé, qui, au départ du moins, étendait ses lignes droites jusqu’à
des horizons rougeâtres. Mais le vent s’était levé et, peu à peu, avait
avalé l’immense étendue. À partir de ce moment, les passagers n’avaientplus rien vu ; l’un après
l’autre ils s’étaient tus et ils avaient navigué en silence dans une
sorte de nuit blanche, essuyant parfois leurs lèvres et leurs yeux irrités par
le sable qui s’infiltrait dans la voiture.
Albert
CAMUS, L’exil et le royaume, chap. 1,
1957
Matériellement,
les événements de premier plan au passé simple ou au passé composé, et ceux de
second plan, à l'imparfait ou au plus-que-parfait (voire au présent) ne se
répartissent pas de façon tranchée, en paragraphes distincts par exemple. Ni
même forcément en phrases différentes. Dans l'extrait suivant :
Seul,
Arthur Levain paraissait songeur et absent. J'allaisle plaisanter sur son air
mélancolique, quand j'aperçusla femme, juste au-dessus de nous, juchée sur la
plate-forme rocheuse d'où tombait la cascade.
Jamais je
n'oublierai l'impression que me causa son apparition. Jeretins ma respiration devant la
beauté de cette merveilleuse créature de Soror, qui se révélait à nous,
éclaboussée d'écume, illuminée par le rayonnement sanglant de Bételgeuse. »
Pierre
BOULE, La planète des singes, 1ère partie, chap.
V.
On peut
constater que le passage de l'imparfait au passé simple (du second plan au
premier) se fait à l'intérieur d'une phrase (le passé simple apparaissant dans
la subordonnée), que la poursuite du récit au passé simple se réalise par-delà
la limite du paragraphe; et qu'on trouve des subordonnées à l'imparfait dans
des phrases au passé simple : d'où
tombait la cascade ; qui se révélait
à nous...) pour donner des informations de type descriptif. On pourra noter
également dans Jamais je n'oublierai
l'impression que me causa son apparition, l'emploi du futur pour le
commentaire sur l'événement de premier plan présenté dans la seconde partie de
la phrase. Le découpage en plans ne coïncide donc pas avec les découpages
formels, même si ces découpages sont à base sémantique.
L’emploi du
passé composé pour les procès de premier plan est correct, même s’il est incorrect
du point de vue de la cohérence énonciative.
Le présent
s’emploie indifféremment pour les deux plans. De ce point de vue, on ne peut
porter de jugement de type juste ou faux, mais simplement noter le phénomène,
et, éventuellement, le caractère tendanciel de son emploi. Son inadéquation
relève des cohérences temporelle et énonciative.
£ A l'intérieur
de ce cadre général, il existe des emplois
stylistiques des temps, que l’on ne pourra retenir comme tels chez les
élèves.
Nous résumons ces
descriptions dans les tableaux suivants :
COHÉSION TEMPORELLE |
|||
ÉPOQUES |
Le passé
|
Le présent |
L’avenir |
Temps
grammaticaux |
Imparfait Plus-que-parfait Passé
simple Passé antérieur Passé
composé |
Présent |
Futur Futur
antérieur |
COHÉSION ÉNONCIATIVE
|
|
DISCOURS |
RÉCIT (HISTOIRE) |
Imparfait
(plus-que-parfait) |
|
Passé composé Présent Futur (futur antérieur) Mode impératif |
Passé simple (passé antérieur) |
RÉPARTITION DES
TEMPS DANS LE
RÉCIT
|
|
1er PLAN |
2nd PLAN |
Présent |
|
Passé simple Passé antérieur Passé composé |
Imparfait Plus-que-parfait |
L’emploi des temps (1)
Un garçon avec son chien
Un jour le 4 décembre le garçon alla a une fête
dans son village il vas dans la forêt et son chien le suivit et il entens un
bruit derière lui s’étai un fantôme. Le fantôme les avaits fait telement peure
que ils étai tonbé dans les pommes.
Le fantome n’etais pas méchant il prit dans sé bas
et enmena le garçon dans sa grotte mais il avait léssé le chien.
Les parent etai inquié par-ce-que le garçon n’étai
pas revenu.
Les parent avait apelé la police.
Le fantome reveilla le garçon ne cria plus et
parla au fantome :-« que vas-tu me faire. – je ne vais rien te faire
dit : le fantome.
- le garçon dit : ou a tu mi mon
chien ? » le fantome dit : mainse je lai oublié.
Le chien se réveilla met il avait des loups autour
de lui. Le fantome avait vu que le chien avait des problème.
Le fantome ataca les loups.
Et le garçon et son chien reparta à leur maison.
CM1 (orthographe
et ponctuation respectées)
Dans
ce texte, étudiez :
-
la cohésion temporelle ;
-
la cohésion énonciative :
-
la répartition des temps selon les deux plans du récit.
CORRIGÉ (1)
Ce
texte est un récit écrit d’événements passés, ainsi que l’indique dès le début
l’organisateur textuel d’ouverture « Un jour ». Nous étudierons
l’emploi des temps dans ce texte du point de vue de la cohésion temporelle, de
la cohésion énonciative et de la répartition des temps selon les deux plans du
récit. Pour conduire cette étude, nous distinguerons récit et discours rapporté
au style direct. Nous respecterons l’orthographe utilisée par l’élève, et nous
ne tiendrons pas compte des problèmes morphologiques.
Cohésion temporelle
§ Partie récit : le récit étant au passé, on ne
devrait trouver que des temps du passé, ce qui est massivement le cas, sauf à
deux reprises au début du texte : « il vas dans la forêt »,
« il entens un bruit ». On ne peut pas se prononcer avec assurance
sur les formes « [il] dit » (3 occurrences). Dans la mesure où ces
formes sont encadrées par des contextes où sont utilisés des passés simples
(« réveilla », « cria », « parla » en
amont ; « se réveilla » en aval) on les considèrera comme des
passés simples. On peut donc considérer que la cohésion temporelle est dans
l’ensemble bien respectée.
§ Partie discours : le problème ne se pose pas. Emploi
du présent (pour la construction de futurs périphrastiques : tu vas / je vais faire) et du passé
composé.
Cohésion énonciative
§ Partie récit : on ne devrait trouver que des temps
du récit (passé simple –éventuellement passé antérieur-, imparfait et
plus-que-parfait). Ce qui est effectivement le cas, sauf pour les deux présents
déjà évoqués, qui sont des temps du discours.
§ Partie discours : les temps employés sont bien des
temps du discours.
La
cohésion énonciative est correcte.
Répartition des temps
Nous
présenterons la répartition des temps selon les deux plans du récit sous forme
de tableau, en marquant d’un astérisque les cas problématiques. Cette
répartition ne concerne pas la partie discours.
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